Prologue [Myree] - Harmonie nocturne, RP d'introduction

Cercle druidique - Boisgrévier
Quelques jours avant le Dorthkhel Svirrik

Ce soir-là, Myree avait attendu que les derniers échos du hameau s’éteignent pour se glisser jusqu’au sanctuaire des druides. La poésie champêtre de ce lieu l’avait toujours charmée : l’odeur de la mousse humide, le bruissement discret des papillons de nuit et ce rayon de lune qui, par le puits de lumière naturelle, descendait le long des racines comme une pluie figée.

Assise sur une pierre plate, elle faisait courir ses doigts sur le cuivre bombé de sa théière – compagne familière, toujours à portée de main. Les sons ténus se répandaient doucement entre les pierres moussues, dociles, comme apprivoisés par la voûte.

Puis, tout à coup, quelque chose changea. Chaque frappe vibra plus longuement qu’à l’accoutumée, et le cercle entier sembla répondre. La résonance s’enfla, plus profonde, plus ancienne, comme si la pierre s’accordait à sa musique.

Intriguée, la jeune gnome accéléra le rythme : les parois rendirent fidèlement ses touches… mais derrière, une variation inédite s’invita, discrète, comme si une main invisible avait poursuivi la mélodie. Un instant, elle crut sentir sa musique relier la voix des pierres à celle du ciel. Et dans ce fragile équilibre, elle se découvrit plus forte, comme si son art venait d’entrer dans l’écrin qui l’attendait depuis toujours.

Ses phalanges s’immobilisèrent, saisies par ce vertige. Le silence revint aussitôt, mais l’air vivrait encore d’une vie imperceptible. Comme enivrées par la musique, les racines frémissaient et la terre exhalait des senteurs d’humus.

La quiété régnant au sein de la clairière souterraine était notoirement propice à l'apaisement, pour tout habitant des profondeurs prenant le temps de s'en imprégner. Alors, il n'était pas étonnant que le cercle druidique eut appelé Myree Dinglestone, en cette soirée dont nul agrément ne voulait troubler la tranquilité.

Assise sur une rocher couvrant un sol mousseux, une infusion de thé aux feuilles d'Arlan entre les mains, la jeune Gnome peinait à échapper à ses songes maussades, malgré l'aspect enchanteur du lieu qu'elle venait de retrouver. Ni le chant des grillons lointains, ni les fraîches senteurs de la terre, ni même la douce caresse de la lune couvrant sa joue, ne parvenaient à détourner le fil de ses pensées. Des pensées constituées de doutes et de trac.

Dorthkhel Svirrik approchait. Le rite déterminant son entrée dans l'âge adulte, au sein de cette communauté qu'elle avait rejointe voilà dix ans auparavant. Dix longues années, au cours desquelles son étrangeté vis-à-vis du clan aurait dû avoir le temps de s'effacer. Et pourtant, ce n'était pas le cas.

Les gnomes de BoisGréviers étaient maintes choses, aux yeux de Myree : des camarades conviviaux, des collègues de confiance, des voisins accueillants, des fêtards enthousiastes, ou même des mentors attentifs. Mais pourtant, parmi cette vaste population, nul n'avait trouvé la place d'un véritable ami dans le coeur de la Gnome. Il subsistait entre elle et ses semblables une incompréhension elle-même incompréhensible ; une distance qu'aucune prestation artistique, prouesse minière ou farce cocasse, n'était parvenue à dissiper. Il en ressortait une profonde déception, jusqu'alors intériorisée, mais qu'une imminente épreuve avait fait ressurgir à l'approche de cette date fatidique. L'appréhension de cette Dorthkhel Svirrik provoquait depuis peu une légère tension au sein du corps de la Gnome, courant le long de sa colonne vertébrale et compressant occasionnellement sa poitrine.

Sentant cette énergie négative l'envahir, son instinct prit aussitôt le relais, pour guider le bout de ses doigts sur sa théière fétiche, et lui en faire tapoter délicatement la surface cuivrée selon un tempo maîtrisé. Ses mains avaient le don de faire chanter le cuivre , et les délicates percussions sonores qui émanaient de cet instrument de fortune avaient le don de canalyser les émotions qui s'emparaient d'elle. Ses pensées reprirent un rythme plus posé, glissant le long de son esprit suivant le rythme de sa mélodie.

Etait-ce seulement une bonne idée de participer à ce rite ? Et si finalement... elle ne se présentait pas, ce jour-là ? Pourquoi ne pas repartir sur les routes, à la place ? Sillonner les chemins, arpenter les cités et vivre d'aventures, comme elle l'avait fait il y a bien longtemps, aux côtés de Grand-Père Tête de Pioche !

Soudain, un curieux phénomène stoppa les réflexions de Myree. Tendant ses oreilles pointues, la Gnome perçut un étrange écho se manifester, non seulement au creux de son instrument, mais aussi dans l'environnement sylvestre tout autour d'elle. Une harmonie grondant au rythme de ses vibrations. La curiosité tiquée par cette étrangeté sonore, la Gnome se laissa aussitôt entraîner à l'expérimentation.

Accélérant le rythme de ses pulsasions, Myree demeura d'abord attentive à cette résonnance inhabituelle, frémissant jusque dans les parois de la grotte. Mais très vite, la Gnome ne put résister à l'appel de cette symphonie se formant entre les notes éveillées par ses doigts, la pierre, la mousse et le vent nocturne. Myree s'éleva, instrument entre les mains, et laissa ses paupières recouvrir la surface de ses yeux grenats, s'abandonnant à la catharsis de cet instant.

Portée par une musique ayant dépassée sa simple personne, la Gnome commença à tournoyer sur elle-même au coeur du cercle de pierre baignant dans la pluie de rayons nocturnes. Une note accompagnant chaque mouvement, une onde sonore épousant chaque pas, une percussion accueillant chacun de ses échos. Et enfin, Myree s'immobilisa, dans une ultime vibration à l'ampleur solenelle, portée par l'ensemble de la caverne. Ses yeux s'ouvrirent, lentement. Et un sourire s'étendit sur ses lèvres, alors qu'un souvenir s'éveilla dans sa mémoire, portant la voix grinçante de son arrière grand-père.

"Quand le monde autour de toi te répond, c'est qu'il t'accepte."

Son rictus s'accentua, dans un petit rire narquois. Elle ignorait ce qu'il venait de se produire. Mais dans tous les cas, il s'agissait là d'un signe marquant une réalité : elle comptait bien participer au Dorthkhel Svirrik. Si ces lieux avaient été capables de l'accepter, ses habitants n'allaient pas tarder à en faire de même.

Encore prise dans le vertige de la danse, Myree reprenait son souffle, sa théière blottie contre le cœur.

Le silence régnait, lourd, comme si les pierres druidiques avaient clos leurs lèvres après avoir livré un secret. Puis, des racines les plus hautes, une brise ténue descendit en sifflant, discrète, presque timide. Fraîche caresse sur ses joues tiédies par l'effort, la jeune gnome l'avait ressentie avant même de l'entendre : une note longue et lourde, précisément celle qui avait résonné si profondément dans la caverne. Ce n’était pas un écho ; plutôt une voix cherchant la sienne, une onde hésitante tendant la main.

La brise enfla, se propageant dans le cercle, glissant sur la roche humide, filant entre les traînées de mousse, jusqu’à se perdre dans les orifices de la pierre. Puis elle s'interrompit net, comme suspendue. L'air semblait attendre une réponse.

Alors, entre deux racines, une pâle lueur s'alluma — brève, aussitôt effacée. Avait-elle vraiment brillé ou Myree l’avait-elle rêvée ? Après tout, elle avait toujours eu l'esprit poétique... Mais qui pouvait dire quelles antiques magies sommeillaient dans le sanctuaire des druides ?

Dans cette attente flottait encore la voix chérie de Tête de Pioche – souvenir ou murmure ? – se riant peut-être d’elle, peut-être du monde. La frontière était mince entre la mémoire et le mystère, et seule Myree pouvait décider de prêter foi à ce qui paraissait l'appeler.

Lancers...

Myree Dinglestone - Jet de compétence : Connaissance (mystères) : 5(d20) +0(deg) +4(Int) = 9