Chapitre 1 : Pleurs printaniers

Non, sûrement, il devait y avoir une erreur. Ces déclarations ne faisaient aucun sens dans son esprit. Elle était en train de passer en accéléré dans sa tête les évènements de la matinée, comprendre se qui clochait. Le petit garçon leur avait affirmé qu’il s’appelait Joran, et c’était bien la seule parole cohérente qu’il avait prononcée.

Après les excuses d’Astérious, Else prit la parole à voix basse, en prenant la précaution de poser sa voix au même volume que la femme venait de le faire :

- Ma Dame, veuillez pardonner la maladresse de mon ami, il a, en réalité, un bon cœur.
Nous sommes bien évidemment désolés d’apprendre cette tragédie, et, en effet, c’est avec sincérité que nous venions vous trouver. Nous présentons nos sincères condoléances. La Grande Mère accueille son âme.

Elle prononça ces dernières paroles en touchant son épi de blé.

- Cependant, je ne vous cache pas qu’après ce que vous venez de nous dire, nous sommes bien démunis. Nous ne nous attendions pas à ça, et c’est à n’y rien comprendre. Nous ne voulons pas vous importuner, mais, comme vous l’a demandé mon ami, seriez-vous disposée à nous raconter plus en détails ce qu’il s’est passé ? J’ai bien conscience de l’effort que vous demandera notre requête, et, comme l’a dit Astérious, nous ne souhaitons pas raviver les flammes du malheur qui vous touche, mais la situation paraît trop grave et importante pour ne pas essayer d’y voir plus clair… Il en va peut-être de la sécurité de plusieurs autres enfants. Que s’est-il passé ? En savez-vous plus sur comment – et, peut-être, pourquoi – a eu lieu cette disparition ?

Elle hésita un instant. Elle allait lui proposer de venir avec eux au Hall des Récoltes, afin de bien s’assurer que l’enfant qu’ils avaient récupéré n’était en effet pas Joran. Mais elle se dit qu’il était peut-être plus sage d’attendre son histoire et ses explications, de ne pas la brusquer plus que nécessaire, et d’éventuellement partir sur de meilleures bases.

Orienas recula d’un pas comme frappé par les derniers mots de Selanna.

¤ Se pourrait-il que Joran nous ait abusé ? Non, je n’y crois pas, sa détresse était bien trop sincère ! D’autant que cela n’explique pas l’attitude des 2 acolytes. Ou alors il faudrait que les trois soient complices…
Non, ça non plus je n’y crois pas. C’est un scénario bien trop sophistiqué et qu’espéraient-ils y gagner ? Dame Bremma saura immédiatement déceler une imposture et si elle croit son enfant mort, toute tentative de chantage est vouée à l’échec.
La version du petit reste la plus cohérente. Ses ravisseurs ont-du réussir à le faire passer pour mort pour mettre fin aux recherches et se mettre à l’abri.

Ou alors, c’est Selanna qui ne nous dit pas la vérité. Si elle est complice de l’enlèvement de l’enfant, elle cherche peut-être simplement à nous éloigner et à faire cesser nos investigations. Après tout, l’enfant a été enlevé chez lui, en pleine nuit ! On ne peut exclure la présence d’un complice à l’intérieur même de cette maison.
Else a raison, il faut pousser la jeune femme à nous en dire plus. Et le cas échéant il faudra la convaincre de nous laisser parler à Dame Bremma. ¤

S’alignant sur le ton adopté par Else, Orienas la seconda dans sa requête :

- Dame Selanna, ce que vous nous dites est terrible et nous comprenons que vous ne puissiez nous mener à Dame Bremma pour l’instant. Cependant comme le dit mon amie, le sujet est grave, vous devez nous aider à y voir plus clair.
L’enfant que nous avons recueilli était dans une détresse profonde et affirme avoir été soudainement séparé de sa famille. Je ne pense pas qu’il cherche à se faire passer pour le fils de Dame Ormantrel pour exploiter sa détresse. Après tout, elle détecterait la supercherie au premier regard.
Pourriez-vous nous en dire plus sur sa disparition et surtout sur le corps qui vous a été amenée ? Dans quelles circonstances a-t-il été retrouvé ? Était-il possible d’y reconnaître avec certitude l’enfant disparu ou la dépouille était-elle trop abimée pour cela ? Le cas échéant, auriez-vous un portait de l’enfant à nous montrer ?

Tout en disant ces mots, il observait attentivement la belle jeune femme, cherchant à déceler dans sa posture ou ses paroles éventuelle duplicité.

Lancers...

Orienas - Jet de compétence : Social : 11(d20) +4(deg) +3(Cha) +2 = 20
Orienas - Jet de compétence : Psychologie : 7(d20) +4(deg) +2(Sag) +2 = 15

Selanna accueillit les excuses d'Asterious d'un sourire pincé, mais sans un signe de rancune. Elle avait posé une main sur son cœur lorsque la prêtresse, venue au secours du vieux druide, conclut son plaidoyer par une prière pour l'enfant défunt. Le gnome, en bon sauvage, se laissait guider par l'instinct : mordant et caressant avec la même candeur, oublieux qu'il était pour le moins cavalier de s'adresser à une dame qu'il rencontrait à peine par son prénom...

Selanna

- Oublions cela, répondit Selanna avec un geste d'apaisement, comme pour dissiper les maladresses passées. Elle releva la tête vers Else, l'encourageant du regard à en dire davantage. La demande, sans être déplacée, était douloureuse pour l'amie de Dame Ormantrel. Son beau visage se décomposa à mesure qu'Orienas la pressait de questions. Chacune - précise, chirurgicale - semblait lui porter un coup. Elle referma la porte derrière elle, plus vivement qu'elle ne l'aurait voulu. - Ces mots... souffla-t-elle, la voix soudain blanche. Ces mots la tueraient. Elle les fixa l'un après l'autre. Une colère froide affleurait sur ses traits, difficile à saisir : était-ce le noir insondable de ses yeux, la noblesse de sa tenue ou quelque chose d'emprunté dans sa manière altière de se tenir ? - Je n'ai pas vu son corps. Je suis arrivée après... Bremma évoque souvent le tout petit cercueil que les soldats ont apporté. Cette image la hante. La nuit, le jour... Elle ne dort plus. Elle ne mange plus. Il lui reste à peine la force de pleurer. Ses yeux se brouillèrent. Sa main demeurait cramponnée à la poignée derrière elle, comme un naufragé s'agrippe à son dernier morceau d'épave. - Elle ne parle jamais de son corps, murmura-t-elle. L'a-t-elle vu ? -------------------- Cette femme d'une trentaine d'années est d'une beauté sombre et renversante. Sa voix, comme chacun de ses gestes, semblent comme ralentis par une douce langueur.

Elle leur demanda d'attendre et disparut dans le manoir. Les minutes suivantes s'étirèrent, lourdes, laissant chacun reprendre son souffle et mesurer l'impact de leurs propres paroles. Peut-être les trois compagnons échangèrent-ils quelques mots et impressions. Quand Selanna reparut, ses yeux étaient encore rougis et humides. Elle tenait un médaillon camée dans sa paume, qu'elle leur présenta avec une lenteur presque cérémonielle.

Bien que la gravure peinte représentât un visage plus poupon et des cheveux plus clairs, aucun des compagnons ne douta longtemps : c'était bien l'enfant qu'ils avaient rencontré ce matin même.

Orienas espérait que ses questions amèneraient Dame Selanna à sortir de sa réserve et il observait attentivement la jeune femme.
Il la vit chanceler devant l’énormité de l’hypothèses qu’il insinuait d’une voix douce mais ne perçu nulle trace de tromperie dans ses réactions.

Une colère rentrée pris bientôt la place de la détresse dans ses yeux et Orienas se demanda un instant s’il était allé trop loin.
Les mots qui suivirent le confortèrent au contraire : mordant à l’appât qu’il avait tendu, Selanna osait s’interroger sur l’authenticité de la dépouille qu’on avait amené à la mère éplorée malgré ce que semblait lui couter le simple fait d’y penser.

Lorsque la jeune femme rentra dans le manoir pour chercher un portait de l’enfant, Orienas s’adressa à ses compagnons : « Je pense que nous avons réussi à faire germer le doute chez cette dame et qu’elle envisage désormais que nous ayons vu juste et que Joran puisse être vivant. Sans cela elle n’aurait pas pris la peine d’accéder à ma dernière requête.
Malgré tout cela ne sera à mon avis pas suffisant pour qu’elle accepte de nous mener auprès de Dame Ormantrel. Elle tient trop à préserver son amie qui semble effectivement dévastée par la perte de son fils.
Je ne perçois pas de duplicité chez elle. Pensez-vous que nous devions l’amener au temple voire l’enfant de ses propres yeux ou qu’il faille amener l’enfant ici ? Sans une preuve aussi solide, je crains que nous ne passions jamais le seuil de cette demeure. »