rgog revint vers le hall sans se presser. L’endroit lui paraissait plus calme qu’à son arrivée. Les trophées de chasse veillaient toujours depuis les murs. Le squelette du ver du froid dominait la pièce, enroulé autour de sa colonne, figé dans une gloire éternelle pour le plaisir des hommes. L’odeur avait changé. Moins de nourriture, plus de cire, de cannelle, d’encens. Des parfums qu’il n’avait pas l’habitude de sentir, même sur les routes. Pas des odeurs du coin, pour sûr. Le maître de maison venait d’ailleurs, ça ne faisait aucun doute.
Il traversa les couloirs sans s’arrêter, accordant le bruit de ses pas à celui des serviteurs. On le regarda à plusieurs reprises, mais jamais avec crainte. Plutôt une sorte de… curiosité. Ici, un demi-orque n’était pas un monstre. Juste un outil. Un outil exotique... Alors qu’il revenait vers l’arrière du manoir, il s’arrêta brusquement. Quelqu’un l’observait. À l’étage, derrière une fenêtre, une femme se tenait immobile et silencieuse. Elle dégageait une beauté sereine. Trop élégante, trop fragile pour être confondue avec une servante. La lumière glissait sur sa peau d’albâtre, faisant ressortir ses longues tresses rousses.¤ Encore un trophée ¤
Orgog la regarda un instant, puis reprit son inspection. Celle-ci faite, il revint au bureau de l’intendant, toujours d’un pas tranquille. Il entra sans cérémonie et s’arrêta devant Moki, plongeant son regard dans celui du halfelin.— J’ai fait le tour.
Il laissa passer un court silence avant de continuer.— Au rez-de-chaussée, y a une bonne dizaine de pièces. Douze, peut-être. Tout est proche, tout communique. C’est peut-être pratique pour se faire servir, mais pas pour empêcher quelqu’un de passer.
Il inspira.— En journée, il doit y avoir une quinzaine de personnes. Ça fait beaucoup d’yeux… à condition qu’ils regardent. J’ai fait tout le tour de l’étage, et personne ne m’a demandé qui j’étais ni ce que je faisais là à rôder.
Son regard se durcit.— La nuit, ils sont moins. Trois ou quatre serviteurs à demeure, pas plus. Le garde à l’entrée. Un autre peut-être dedans, si vous êtes prudents. Pas assez pour tout surveiller en même temps.
Il leva une main, comptant lentement sur ses doigts.— Les grandes entrées sont solides. Les cours sont dégagées. C’est bien pour voir arriver quelqu’un… mais une fois dedans, on est à découvert. Ça devient un piège pour celui qui défend autant que pour celui qui attaque.
Il baissa la main.— Les cuisines, c’est plus faible. Fenêtres basses, souvent ouvertes. Beaucoup d’allées et venues, mais si l’attention baisse, quelqu’un peut entrer sans bruit. Les portes de service tiennent moins que la façade. Les serrures sont pas bien solides. Dans l’atelier, y a de quoi s’amuser : cordes, outils. Pas besoin de ramener son matériel.
Il marqua une pause.— Le jardin derrière est ancien. Les arbres étaient là avant la maison. Certaines branches passent au-dessus du mur. Quelqu’un d’entraîné peut entrer par là.
Il ajouta aussitôt, plus grave :— Et s’il entre, il peut se planquer et attendre tranquillement son heure. L’abri du jardinier est ouvert. C’est une erreur. Fermez-le au moins avec une chaîne.
Après un bref silence, il conclut :— Demain, il faudra des hommes qui bougent, pas juste des murs. Des gars qui tournent, surtout près des cuisines et des accès de derrière.
Son rapport terminé, Orgog se tut. Pas de belles paroles, pas de promesses. Il s’en était tenu à ce qu’il avait vu. Maintenant, la balle était dans le camp de Moki.