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Chapitre 1 (bis) : Troubles sur la rive
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Vieille Bique
Chambre 9
Aucune gemme
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1373, Kythorn – première décade, premier jour Cormyr – Ville de Wheloune Abords du bac de la Wiverne (rive ouest)
Le printemps commençait à peser sur Wheloune. Sur les quais, l’air sentait le grain, le poisson et la sciure fraîche. L’hiver avait à peine allégé le trafic, et déjà les premières grandes caravanes de la saison affluaient du nord et de l’ouest, chargées de vins, de bières, de charbon et de tissus. Calem, comme la plupart des dockers de la ville, avait repris les longues journées - celles où l’on ne comptait plus les heures ni les échardes. Avec les premières récoltes, le ballet des barges se prolongerait la nuit comme le jour.
Ce jour-là, une importante caravane sembienne était arrivée par la Voie de la Manticore. Les marchandises ne faisaient que transiter : le bac servait de point de transbordement entre route et fleuve. Des caisses estampillées de sceaux marchands de Selgonte, lourdes de jarres d’huile et de sacs d’épices, s’entassaient aux côtés de rouleaux de soie enveloppés de chanvre et de tonneaux de vin. Le contremaître, un quarantenaire à la barbe poivre et sel, grondait d’une voix rauque :
- Doucement, par Tymora ! C’est du Vieux Clairet d’Usk, pas de la piquette !
Le vin à la robe rubis pâle, très parfumé, faisait la fierté de la Sembie. À en juger par la fréquence des arrivages, il devait avoir ses amateurs jusque dans les caves du palais royal.
Calem travaillait près du treuil, où un ancien manœuvrait cordages et leviers avec la régularité d’un homme qui connaît bien son métier. Le va-et-vient des chariots emplissait les docks d’un vacarme confus. Les cris des bœufs, le choc du bois et le claquement des chaînes formaient une rumeur continue où se noyaient les voix.
Sur le quai voisin, une jeune mère patientait pour embarquer, tenant sa fille par la main. La petite jouait avec deux morceaux d’écorce grise argentée - celle, reconnaissable entre toutes, des arbres cendrés du Bosquet Divin, à la limite occidentale de la ville. Elle riait d’une voix claire, à peine audible dans le tumulte.
Ce fut à cet instant que tout bascula. Un craquement sec retentit, puis un autre, plus profond. Une poutre du ponton céda tout à coup sous la charge d’un chariot trop lourd. Le bois se rompit net, et la cargaison empilée s’effondra dans un fracas de tonneaux, de chaînes et de cris. Le ponton vibra, des planches jaillirent dans l’air et une odeur de vin s'éleva avec la poussière. Calem, gardant son équilibre in extremis, sentit la secousse jusque dans ses reins. Quand la confusion retomba, un homme gisait, la jambe coincée sous un tonneau, tandis que la jeune femme, tombée à l’eau, s’accrochait désespérément à un pilot brisé pour ne pas être emportée par le courant. L’enfant, elle, avait disparu.
On criait, on se penchait sur la berge, on appelait la milice. Déjà, les barques les plus proches tentaient de sonder le courant, mais la vase soulevée rendait toute recherche impossible. Le contremaître, livide, tentait de dégager le blessé.

Trêve de jacasseries !
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Habitant des Royaumes
Aucune chambre
Aucune gemme
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Tout comme il avait sorti la nature de sa léthargie hivernale le printemps avait également réveillé le fleuve. Son débit et le nombre de ses passagers s’étaient intensifiés du jour au lendemain, avec la même brutalité soudaine et incontrôlable que celle des crues. Le commerce et les ambitions des hommes étaient devenus plus forts que les courants, avaient grandi plus vite que les villes et les routes qui y menaient. Les quais de la Wiverne étaient depuis peu pareils à une fourmilière que l’on dérangeait sans cesse et dont les fourmis, désorientées par l’abondance, avaient perdu tout sens des priorités et de l’orientation. Les caravanes de mets luxueux en provenance de Sembie en était un des exemples les plus symptomatiques, le vin qu’elles convoyaient faisait tourner la tête des hommes bien avant qu’il ne soit dans leurs gosiers...
Ayant enchaîné d’épuisantes journées Calem s’efforçait de rester concentré en dépit de la fatigue et du tumulte. Il ne connaissait le fleuve que trop bien et savait ce dernier aussi généreux qu’impitoyable. Les docks, les quais et leurs pontons, s’étaient tous imposés à l’eau et n’en étaient que plus dangereux. Le jeune homme savait que cette agitation était propice à la négligence, et donc au danger. Dégageant l’accès au treuil des entrelacs de cordes qui y trainaient Calem aperçut en se redressant, sur l’un des nombreux pontons, une enfant et sa mère. Il ne put alors s’empêcher de penser que les voyageurs ne devraient pas côtoyer les marchandises, puis se fit la remarque que les deux étaient devenus en bien des points similaires. Cette pensée d’abord amusante se fit rapidement amère... Ce fut en cet instant oisif, presque philosophique, que le fleuve choisit de frapper, car Calem en était persuadé, la Wiverne était maîtresse des lieux. En quelques secondes l’agitation devint chaos, le malheur sous les traits d’un accident s’étant une fois de plus abattu sur les abords du fleuve. Le regard du jeune homme immédiatement guidé par des cris de douleur se posa sur un premier malheureux puis, probablement d’instinct sur la jeune mère qu’il fixait un instant auparavant. La fonte des neiges les plus lointaines alimentaient encore le fleuve dont la force des courants était aussi redoutable qu’insoupçonnée : la malheureuse, tombée à l’eau, luttait désormais pour sa vie, oubliant peut-être tout dans la panique de l’instant, jusqu’à son enfant. Et d'ailleurs, où était la petite ?
Comme un seul homme tous les travailleurs du fleuve s’étaient soudain ligués contre ce dernier pour se défendre. Vu comme il criait le docker survivrait, on lui prêterait rapidement attention et soin. La femme, elle, était probablement aussi jeune que déterminée à vivre, elle continuerait à s’accrocher. L’enfant, démunie et probablement incapable de lutter face aux eaux, était la priorité. Calem fouilla des yeux le ponton puis le fleuve, dans le sens du courant, à la recherche de la petite, de ses jouets de fortune, ou de tout autre indice pouvant révéler sa présence sur terre ou dans l'eau.

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