Mésaventure à Lyrabar, Tonja

2 Eleinte 1372
Impiltur -> Caserne des Epées de guerre de Lyrabar


Les murs de pierre, le lit spartiate, le sol dallé et froid à peine recouvert de paille. Voilà qui changeait peu des chambres monastiques ; seuls les barreaux métalliques qui faisaient office de porte et donnaient sur un couloir faiblement éclairé changeaient de ce qui avait été l'ordinaire de Tonja pendant son initiation à Reth.
Pourtant tout était différent. Il lui manquait un élément d'importance: la liberté! La demi-orque avait probablement mérité son emprisonnement, elle s'en accommodait du moins, elle n'avait guère le choix.
Hormis la sienne, une seule autre cellule était occupée, par un nain d'écu apparemment, qui cuvait l'alcool qu'il avait dû consommer la veille.

La moniale n'avait passé qu'une nuit dans la caserne de la milice de Lyrabar lorsque, au matin du second jour, la porte du couloir s'ouvrit pour laisser place à deux individus. Le premier elle le reconnut, il s'agissait de l'officier qui l'avait "accueillit" la veille, un homme aux cheveux poivre-et-sels qui ne paraissait avoir que peu de considération pour son prochain, en particulier lorsque ce dernier était détenu dans ses geôles. La seconde personne était également un humain, mais pas un garde de toute évidence, car en guise de vêtements il arborait fièrement une longue tunique bleue nuit rehaussée de motifs dorés.
Les deux hommes étaient en pleine discussions tandis qu'ils approchaient de la cellule de Tonja.

- Oui, c'est elle. déclara le soldat en la désignant du menton. Elle est arrivée hier après-midi par le bateau d'Airspur. A peine débarquée elle s'est mise à agresser un pauvre hère sur les quais. On ne peut guère faire confiance à ces sangs-mêlés. Leur âme est belliqueuse par nature! continua-t-il tout en la dévisageant.
L'Impiltur était une plaque tournante du commerce de cette partie de Faerûn. Les demi-orques n'y étaient pourtant pas rares. Mais comme partout, il semblait y avoir des gens chez qui les différences engendraient la haine. Cet officier était ce genre d'individu.
- Si vous voyiez l'état du gars qu'elle a tabassé , reprit-il, vous rigoleriez bien, il sortira pas des maisons de guérison avant une bonne chevauchée, voire deux!
Mes miliciens ont réussi à calmer cette... Tonja qu'elle s'appelle... et on l'a enfermée là.
Elle nous a bien dit que c'était l'autre gars qui lui avait manqué de respect, sur sa race ou sa religion je crois bien, mais ce ne sont pas des arguments, pas vrai messire?

L'autre homme n'écoutait que distraitement les dires du soldat. Il jaugeait Tonja du regard. Un sourire vint s'afficher sous sa fine barbe grise lorsque son compagnon eût achevé de relater les faits. Il lui répondit d'une voix lente.
- Oui... oui... si vous le dites capitaine... Puis, s'adressant à la Chondathienne. Bonne rencontre, Tonja d'Airspur. Je me nomme Mival Chernin, responsable de la guilde de magie de Lyrabar. Il semble que Tymora ait été bonne de nous mettre en relation. Je pense que nous avons chacun à offrir à l'autre.
Afin de na pas y aller par quatre chemins, je vais être direct: je puis vous rendre la liberté contre un service qui ne devrait pas vous être trop difficile, bien qu'il risque de vous occuper pendant les prochaines chevauchées. Une telle proposition vous intéresserait-elle?

a prison n’était pas une peine si terrible, au fond. Enfant, on avait habitué la demi-orque à la solitude et à l’ennui. Non, ce qui la faisait enrager, c'était de perdre aussi stupidement son temps. Lorsqu’elle avait été arrêté, elle s’était interrogée longuement sur la place de la Justice de Heaume dans la justice des hommes… La moine réfléchissait à cette question philosophico-religieuse depuis qu’elle était là. Son voisin nain, bien que prit d’envolées lyriques ô combien bruyantes à son arrivée, ne la dérangeait pas vraiment. Elle ne souhaitait pas engager la conversation, et d’ailleurs le nabot ronflait depuis des heures à présent.

Les deux humains avaient interrompu son cheminement intellectuel. Il y avait ce garde pédant à la main lourde, bien sûr, mais un autre bougre l’accompagnait. A l’évidence il n’était pas prisonnier, ce n’était pas non plus un garde… un gratte-papier peut être ? Ils s’approchaient de sa cage, et il ne fit bientôt plus de doute qu’ils venaient la voir, elle. Que lui voulait-on ?
Tonja avait observé, puis écouté. Lorsque l’homme à l’élégante tunique s’était adressée directement à elle, la moine s’était levée et approchée pour lui faire face. Cet humain là, contrairement aux manants des quais, ne semblait absolument pas impressioné par l'officier.

¤ Par Heaume, qui es-tu pour te soucier de moi ?¤

La demi-orque avait bien consciente d’être crasseuse, et sa bure devait dégager une drôle d’odeur. Si seulement elle avait pu trouver une auberge où faire un peu de toilettes, elle aurait semblé moins minable… mais non, il avait fallu que cet humain imbécile l’insulte. Cela aurait été sans importance si les mots venimeux n’avaient pas porté atteinte à son dieu. Il avait bien fallu lui faire ravaler ses paroles. Les maîtres moines de son monastère natal n’auraient pas approuvé un tel comportement, mais ils n’approuvaient pas non plus sa ferveur, alors…

¤ Enfin, toujours est-il que je sens le haddock et le goudron… ¤

La moine regarda l’humain dans les yeux, et croisa les bras sur sa poitrine, signe d’une certaine réserve. Une guilde magique, hm… Voilà qui ne l’avançait pas beaucoup. Quand à Tymora la farcétieuse, la moine aimait mieux ne pas lui confier son destin...

- Tonja te salue bien, Mival Chernin. Par Heaume, je suis étonnée que quiconque ici s’intéresse à mon sort, dit-elle de sa voix profonde en s’inclinant légèrement. Mais j’ai dans l’idée que ce bon officier pourrait bien avoir quelques plaisirs à me garder ici plus longtemps que nécessaire.

Nul reproche ne perçait dans sa voix. Le ton de la demi-orque était aussi neutre que si elle avait décrit le temps. Oh, bien sûr, il y avait toujours ce bout d’elle-même qu’il fallait convaincre de ne pas sauter à la gorge de tous ceux qui le méritaient… Mais elle après toutes ces années, elle savait enfermer cette partie de son esprit dans les limbes de sa conscience.

- Toute intervention pouvant écourter mon séjour est la bienvenue… A condition que le prix à payer ne soit pas trop élevé. Ce service… Quelles en sont les grandes lignes ?

La demi-orque scrutait son interlcuteur. Sans doute la prenait il pour une mercenaire. Les demi-orques qu'elle avait croisé à Airspur étaient nombreux à avoir choisi cette voix. Mais hors de question de se laisser embarquer dans quelque forfantrie, elle préférait encore croupir ici un mois ou deux que de se faire embaucher pour l'accomplissement d'un méfait...

2 Eleinte 1372
Impiltur -> Caserne des Epées de guerre de Lyrabar


Mival Chernin sembla perdre un peu de sa contenance en entendant la demi-orque le tutoyer. Il saisit le col de sa propre robe et fit mine de le remettre en place tout en se raclant la gorge. Il avait toute la distinction ainsi que les propos d'un être de haut statut social, et s'entendre traiter de manière aussi familière par un prisonnier avait de quoi le déstabiliser. Cela ne l'empêcha cependant pas de répondre d'un ton toujours neutre.

- Je comprends vos réserves, aventurière, toute promesse de liberté n'est pas forcément bonne à prendre. Aussi je vais tenter de répondre à vos attentes. Je traite actuellement avec une organisation des lointaines Marches d'Argent qui devrait, d'ici 4 jours, envoyer un groupe d'aventuriers dans notre contrée. Je ne connais pas encore la constitution de cette équipée mais on m'a fait savoir que toute aide que je pourrais trouver ici à Lyrabar ou aux alentours pourrait être la bienvenue. Aussi, lorsque le Capitaine Bernordas a fait part de votre cas à l'assemblée de justice de la reine Sambryl, je me suis empressé de proposer ce petit arrangement.

Le dénommé Bernordas ne put retenir un juron tant ce qu'il entendait paraissait le choquer. Il saisit le bras de Mival tout en s'écriant:
- Bon dieu! Monsieur, vous n'allez pas sérieusement aller jusqu'au bout? On peut pas faire confiance à cette... ce... De sa main libre il fit un geste de dédain dans la direction de Tonja.... ce monstre, là!

L'homme grisonnant libéra son bras d'un geste d'épaule.
- Je ne vous permet pas de juger de mes actions, sachez que j'ai le soutien de sa majesté. Ce n'est qu'à elle que je dois rendre des comptes, capitaine.
Puis, à la moniale:
- Votre mission consisterait donc à accompagner ces voyageurs durant leur périple en Impiltur. D'après ce que j'en sais, ils n'ont guère qu'à rendre visite à un village d'halfelins et probablement effectuer une excursion dans des montagnes proches. En échange de la protection que vous offrirez, vous aurez la liberté de circuler dans chacune des cités de notre royaume sans crainte d'être ennuyé par les conséquences de votre... incident.

i Tonja avait bien perçu la gêne de son interlocuteur, elle n’en montra rien. La demi-orque y était accoutumée. Mais elle pensait que c’était les intonations rauques peu féminines de sa voix qui dérangeaient, et ne pensait pas une seconde que son franc-parler puisse être déplacé de quelque façons. Elle tutoyait son Dieu à chacune de ses prières, et quel être ici-bas pouvait prétendre à davantage de respect que ce qu’elle lui en témoignait, à Lui ?

La moine se renfrogna lorsque l’homme évoqua une « organisation » sans la nommer. La servante de Heaume n’ignorait pas que nombre de guildes regroupaient des bandits ou mercenaires de tous poils dans le but d’acquérir puissance et richesses. Mais à l’évocation du pouvoir royal, elle se détendit. La demi-orque, sans doute un peu naïve, considérait comme peu probable qu'un Seigneur dirige son royaume en s'acoquinant avec des canailles. Impossible, vraiment.

En tout cas, si l’homme à la tunique avait plus ou moins acquis sa confiance, l’autre lui prouva une nouvelle fois, si il en était besoin, qu'il ne méritait que son mépris.

¤ Un monstre ? Si j'étais ce monstre que tu décris, je me serais déjà laissée aller à arracher chacun de tes petits doigts roses, et chacun de tes orteils boudinés... un par un... à la main... petit imbécile…¤

Ses énormes bras toujours croisés s’étaient crispés à l’écoute de telles inepties. Si son visage demeurait impassible, des éclats de colère dansèrent devant ses yeux. La moine se fit violence et se sermonna intérieurement, reprenant aussitôt le contrôle de ses émotions. De tels excès de colère ne manquaient pas de l'effrayer en son for intérieur. Sans doute, lorsqu'elle aurait suffisament avancé dans son apprentissage, ces incontrôlables pics de fureur disparaitraient-ils.... Quoiqu'il en soit, l’autre homme se chargea, trop délicatement au goût de Tonja, de remettre le véhément officier à sa place.

Lorsque l'humain au nom de Mirval eut fini de lui exposer les tenants et aboutissants de sa libération, la demi-orque fronça les sourcils. Cela lui donnait un air à la fois grotesque et effrayant, mais ce n’était rien d’autre que le signe d’une importante réflexion.

¤ Les halfelins ne sont pas de mauvais êtres, pour ce que j’en sais. Enfin, ça n’a pas l’air d’une mission bien héroïque, mais si ce bonhomme me fait une telle faveur, Heaume ne me permettra pas de lui refuser ce petit service. Et si jamais ça tourne à l’entourloupe, je mets les voiles en bottant quelques derrières.¤

Finalement, Tonja opina une unique fois du chef, et tendit sa grande main rugueuse et un peu moite entre deux barreaux, tout en déclarant solennellement :

- Le marché semble honnête, Mival Chernin. Je mets mes talents à ton service ou à celui de qui tu le souhaitera, ce jusqu’à ce que tu juges la dette de ma liberté payée. A moins que tu m’aies trompé, au quel cas j’estimerai ce présent pacte rompu. Heaume, sois témoin.

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Impiltur -> Caserne des Epées de guerre de Lyrabar


- Nous avons pour habitude d'honorer nos promesses, Tonja. Qui plus est lorsqu'elles sont indirectement faites par notre chère régente Sambryl. Car c'est également à son service que vous allez entrer. Notre école dépend de la couronne d'Impiltur, précisa Mival en se donnant de la contenance.
- A vous de vous montrer digne de la confiance que nous nous apprêtons à vous confier. Nul autre serment ne vous sera demandé outre celui que vous venez de faire devant le Vigilant tout-puissant. Il est l'allié de Tyr et saura vous rappeler à votre devoir.

Puis, se tournant vers l'officier qui était pour sa part totalement décontenancé, le magicien lui fit un signe de la main, le salut local probablement, car le milicien l'imita.
- vous savez ce qu'il vous reste à faire, capitaine. Que ses affaires lui soient rendues et qu'elle puisse bénéficier d'un repas convenable avant d'être menée à notre guilde.
A très bientôt, maîtresse demi-orque. Nous vous attendrons dans la soirée.

Sur ce, Mival Chernin se retira, laissant l'aventurière seule face à l'officier qui n'en menait pas large en approchant son trousseau des barreaux.


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